Les villes de Bruxelles et Paris se font l’écho d’une prise de conscience environnementale majeure, à travers deux expositions phares. À Bruxelles, la Fondation Roi Baudouin commémore le 125e anniversaire de la première aventure antarctique belge avec « À la recherche de… La fin du monde ! Une odyssée climatique sur la Belgica ». Ce voyage au musée BELvue a débuté le 4 octobre 2023 et se terminera le 4 février 2024. Il nous rappelle l’exploration audacieuse de territoires inconnus, tout en dressant un pont vers les préoccupations actuelles de notre planète face à l’épuisement de ses ressources.
Parallèlement, à Paris, Bertrand Piccard, explorateur et innovateur de renom, nous convie avec sa Fondation Solar Impulse à envisager la « Ville de demain » à la Cité des sciences et de l’industrie. Ici, l’accent est mis sur la vision prospective, avec une exploration de plus de 1000 solutions pour un futur urbain durable.
Si l’exposition bruxelloise nous plonge dans une rétrospective inspirée par une expédition historique, mettant en lumière les défis de notre époque, celle de Paris nous projette dans un futur d’espoir, où l’innovation et la durabilité sont au cœur des solutions. Ces deux événements, bien que différents dans leur approche, se rejoignent dans leur message :
le passé nous enseigne, le présent nous interpelle et le futur nous appartient, à condition d’agir avec conscience et responsabilité.
En marge de ces événements, nous avons eu l’honneur de rencontrer Bertrand Piccard lors de l’inauguration de l’exposition au musée BELvue à Bruxelles. Dans l’interview qui suit, il nous partage son regard sur le passé, le présent et surtout, l’avenir. Une conversation éclairante avec une personnalité visionnaire, à découvrir sans tarder.
(AM) : Bertrand, alors que nous célébrons l’expédition de la Belgica, comment voyez-vous le lien entre les aventures d’hier et les défis d’aujourd’hui, notamment ceux liés au climat ?
(BP) : Autrefois l’exploration consistait à conquérir de nouveaux territoires, aujourd’hui, elle consiste à conquérir une meilleure qualité de vie sur terre en explorant de nouvelles manières de faire et de penser
(AM) : Récemment, à la Cité des Sciences à Paris, vous avez présenté des solutions pour des villes plus durables. Pourquoi est-ce si crucial aujourd’hui ? Pourquoi ce focus sur les villes ?
(BP) : La plus grande partie de l’humanité vit dans des villes qui émettent 75 pour-cent des émissions de CO2 et produisent 80 pour-cent du PIB. Il est donc normal de se concentrer sur les villes lorsque l’on veut montrer les solutions disponibles aujourd’hui pour lutter contre les changements climatiques d’autant plus lorsque l’on sait que pour abriter les nouveaux arrivants sur terre et l’exode rurale, il va falloir construire tous les 4 mois durant 20 ans l’équivalent d’une ville de la taille de Manathan. C’est dire si il faut aujourd’hui de nouvelles manières de construire, de nouvelles manières d’habiter en incluant une mobilité, des sources d’énergie et une gestion de l’eau durable
(AM) : Vous avez parlé de « l’éco-anxiété » et de la nécessité de redonner de l’espoir. Pourriez-vous nous en dire plus ?
(BP) : Aujourd’hui on ne parle que des problèmes on les présente comme tellement immenses que chacun se sent dépourvu et incapable de les résoudre. La conséquence logique est une éco-anxiété, une éco-depression, une inaction… Ce qui est fondamental aujourd’hui, tout en parlant des problèmes, c’est de montrer les solutions pour les résoudre; donner envie d’agir et ce n’est que l’action qui résoudra l’éco-anxiété. Dans cette action, se trouve également le choix pour les jeunes d’un métier d’avenir, comme installateur de panneaux solaires, foreur pour géothermie, rénovateurs de bâtiments…Tous ces métiers qui aujourd’hui font cruellement défaut et dont nous avons absolument besoin pour la transition écologique et énergétique.
(AM) : La baleine est un symbole fort dans cette exposition, représentant à la fois les menaces qui pèsent sur notre planète et l’espoir d’un monde nouveau. Quel est, selon vous, le symbole de l’espoir pour notre génération ?
(BP) : Quand on parle de baleines, il est intéressant de remarquer que c’est l’arrivée de l’utilisation du pétrole au début du 20ème siècle qui a sauvé les baleines. Les baleines étaient autrefois utilisées pour produire de l’huile d’éclairage et des engrais avec leurs os chauffés et concassés. Les produits pétrochimiques ont remplacés l’utilisation des baleines et ont sauvés les baleines. Aujourd’hui, c’est le pétrole qui est devenu le problème principal et je pense que ce qui redonne de l’espoir, c’est de montrer qu’il y a des énergies renouvelables moins chères que le pétrole et qu’il faut absolument les mettre en place
(AM) : Les solutions que vous présentez avec votre Fondation Solar Impulse sont impressionnantes. Vous en avez répertorié près de 1500 à ce jour. Pourriez-vous partager avec nous une solution que vous considérez comme particulièrement pertinente pour Bruxelles ?
(BP) : Dans une ville comme Bruxelles, l’une des solutions est SHAYP. C’est un détecteur de fuites d’eaux dans les réseaux publics et privés; sachant que 50 pour-cent de l’eau potable est perdue à cause de fuites…Il y a tout ce qui concerne la rénovation des bâtiments avec des matériaux bio-sourcés ….Il y a les remplacements de vieux chauffages inefficients par des systèmes de pompes à chaleur avec des puits téogermiques que l’on peut maintenant mettre en ville pour chauffer des immeubles et plus seulement des pavillons de banlieues. Et puis bien sûr, charger les voitures électriques avec des énergies renouvelables intermittentes comme le solaire et l’éolien, de manière ensuite décharger les voitures le soir sur les maisons pour éviter les pics de demandes qui nécessitent de l’importation d’électricité charbonnée allemande ou de remettre en fonction des centrales à gaz au moment ou tout le monde à besoin d’électricité, à savoir entre 18 et 20 heures. La voiture électrique devrait servir de stockage individuel au profit de la collectivité…Malheureusement c’est encore interdit aujourd’hui, la réglementation ne l’a pas prévu et les bandes de recharge sont uni et pas bi-directionnelles.

© Solar Impulse Fondation
Partons maintenant à la découverte de Bertrand Piccard
(AM) : Introspection : En dehors de vos exploits et de vos missions, qui est vraiment Bertrand Piccard à l’intérieur? Comment vous décririez-vous quand vous êtes seul avec vos pensées?
(BP) : Je pense qu’une chose qui m’anime est la frustration devant un monde qui pourrait fonctionner beaucoup mieux, devant un environnement que l’on détruit, devant de la violence gratuite alors que les valeurs les plus importantes sont la sagesse et la compassion. Je pense que c’est cela qui me fait bouger, c’est cela qui me fait écrire et aussi donner de conférences. C’est ce qui me fait chercher des solutions avec ma Fondation Solar Impulse. Contrairement à ce que l’on croit, je ne suis pas un hyperactif, j’ai aussi besoin de beaucoup de temps pour réfléchir, pour contempler…, pour imaginer…et peut-être aussi pour rêver.
(AM) : Croyances : Comment décririez-vous votre philosophie de vie ? Croyez-vous en une force ou une spiritualité supérieure ?
(BP) : Je crois en un Dieu qui a crée les hommes mais je ne crois pas aux Dieux que l’homme a crée. Je pense que la religion explique avec des mots humains les messages spirituels d’origine et que le plus important n’est pas de suivre des dogmes religieux mais d’essayer de rechercher le message essentiel au niveau spirituel mais surtout de tenter de l’appliquer.
(AM) : Vie quotidienne : Quelle est une journée typique pour vous quand vous n’êtes pas en mission ou en conférence ?
(BP) : Je n’ai aucune journée typique, il n’y a pas 2 journées qui se ressemblent, il n’y a aucune régularité dans ma vie, ce qui est parfois un petit peu difficile car je n’arrive à mettre aucune discipline, que ce soit des horaires de méditation, des horaires de sommeil…Le programme est toujours un peu ératique
(AM) : Rêves : Quel est un rêve que vous n’avez pas encore réalisé et qui est encore sur votre liste ?
(BP) : Je rêve actuellement de faire un tour du monde avec un avion à hydrogène et de montrer de cette manière-là que l’aviation décarbonnée doit rester un but à atteindre le plus rapidement possible
(AM) : Futur : Si vous pouviez voir le monde dans 50 ans, qu’est-ce que vous espérez y découvrir ?
(BP) : Le monde dans 50 ans dépendra totalement des choix que nous avons fait aujourd’hui. Nous pouvons continuer exactement sur la même trajectoire et avoir une qualité de vie absolument déplorable ou alors prendre les décisions qui s’imposent sur le plan de l’efficience énergétique, l’efficience de ressources, l’économie circulaire, les énergies renouvelables et avoir un monde avec une qualité de vie nettement meilleure. Nous pouvons avec un développement économique possible dans les pays les plus pauvres grâce à des ressources d’énergie propre, décarbonnée et bon marché et moins de tension internationale décentraliser si l’on peut la production d’énergie, plutôt que de dépendre toujours de l’étranger pour s’approvisionner.
Voilà le monde que j’espère voir mais espérer ne sert à rien si l’on agit pas aujourd’hui!

© Solar Impulse Fondation
Informations pratiques:
L’exposition « Ville de demain » à Paris
Cité des sciences et de l’industrie
jusqu’au 7 janvier 2024
—————–
« À la recherche de? La fin du monde ! »
jusqu’au 4 février 2024
photo: bertrandpiccard.com